Chasse du 7 Mai 2016 – Tornades – Wray, Colorado.

Texte: Pierre-Marc Doucet

Photos: Mathieu Bordage et Pierre-Marc Doucet

Vidéos: Pierre-Marc Doucet

Membres présents: Pierre-Marc Doucet, Jolyane Limoges, Mathieu Bordage, Marie-Maude Leduc

 Avec nous aussi: Mike Smith, Joe Wallace (Team BCX) et Tristan Péloquin (journaliste de La Presse)

La journée du 7 Mai marquait le début d’une semaine de chasse intense. Depuis le début de notre voyage, nous n’avions pas eu la main heureuse il faut dire. Lors de notre première semaine, les éléments devaient, selon les modèles météo, se déchainer grandement. Or, ce ne fût pas le cas puisqu’il manquait toujours un ingrédient clé lors de chaque journée. Pendant notre deuxième semaine, un gros anticyclone était en place sur le centre des plaines. Pas de chasse donc, mais du bon temps à la plage sur la côte Texane du golfe du Mexique.

C’est bien beau tout ça, mais nous n’étions pas aux USA pour passer du temps à la plage. Nous voulions assister aux déchaînement de dame nature et il nous restait une semaine pour le faire. Il fallait donc que notre « game » soit au top. Après avoir été chercher Marie-Maude à l’aéroport d’Oklahoma City et que le journaliste de La Presse Tristan Péloquin, qui voulait faire un reportage sur nous, soit venue nous rejoindre, nous sommes partis vers le nord. Nos deux amis Mike et Joe devaient aussi nous rejoindre car il semblait qu’un bon « setup » serait en place dans le nord-est du Colorado le lendemain. Pas question de le laisser filer, surtout après notre dure leçon de la saison précédente (les tornades de Simla du 4 Juin 2015).

Synopsis météo.

L’atmosphère montrait des signes encourageants déjà en matinée. Une dépression devait aussi s’intensifier plus tard dans la journée en sortant des montagnes rocheuses. Voici ce que montrait le sondage atmosphérique matinal de Denver.

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D’un point de vue orages violents, un tel sondage semble peu convaincant. Cependant, il faut savoir se projeter dans le futur et connaître l’environnement de chasse. Dans l’est du Colorado, l’altitude est beaucoup plus élevé que dans les plaines du centre américain. Les points de rosée au sol n’ont pas besoin d’être aussi élevés que dans cette région vue l’altitude beaucoup plus haute. Des points de rosée de 50-55°F sont considérés intéressants dans cette région pour la formation de supercellules tornadiques. Dans les plaines du centre (Kansas, Oklahoma, Texas, etc…) il faut généralement des points de rosée de surface de 65°F et plus pour être considéré comme potentiel intéressant.

Comme on peut le voir sur le sondage, déjà ce matin-là, Denver enregistrait 50°F au sol et la profondeur de l’humidité jusqu’à environ 700mb était très intéressante. Une EML (Elevated Mixed Layer) entre 650mb et 500mb était aussi visible sur le téphigramme. Cette caractéristique de l’atmosphère joue souvent un rôle déterminant pour le temps violent. En plus d’aider à prévenir la formation à trop grande échelle des orages, elle aide aussi l’énergie disponible dans l’atmosphère et empêche l’humidité au sol de venir se mêler à l’air plus sec en altitude, ce qui nuit grandement à la formation des orages. Bref, il était permis de penser que nous aurions de la convection profonde plus tard dans la journée.

 Pour le cisaillement des vents, c’était surtout le cisaillement directionnel qui était discutable. En force, il était très fort (environ 60 kts 0-6km). Par contre il était très aligné vers le nord-nord-est. Cependant vu que les vents au sol au nord du front quasi-stationnaire étaient prévus directement de l’est, nous espérions que cela induise assez de rotation dans les bas niveaux pour créer des tornades. Voici un téphigramme simulant l’atmosphère peu avant le début du spectacle.

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L’instabilité s’est bien installé et l’écart entre le point de rosée et la température était très bien. Cependant avec l’alignement des vents, l’hélicité demeurait assez marginale avec la motion des orages pratiquement vers le nord. La supercellule qui a produit la tornade de Wray allait davantage vers le nord-est de ce qui était prévu sur cet hodographe (interaction avec le front chaud ?). Elle bénéficiait donc probablement de plus d’hélicité et cela a surement joué un facteur pour la formation des tornades plus tard.

Le soulèvement orographique de l’est du Colorado, combiné avec un creux en altitude qui se déplaçait lentement sur les secteurs allaient produire une dépression de surface qui irait en s’intensifiant avec l’avancement de la journée.

Carte de 850mb le matin du 7 mai 2016 (étoile noire représente Wray).

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Carte de 850mb le soir du 7 mai 2016 (étoile noire représente Wray).

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On peut remarquer que les contours se sont accentués un peu dans l’est du Colorado. Signes de renforcement d’un système dépressionnaire. On pouvait aussi voir un bassin d’humidité en place dès le matin. Cette humidité allait rester en place dans un corridor au nord de la zone frontale alors qu’une dryline se développerait plus au sud dans la journée.

On pouvait aussi remarquer un peu plus haut à 700mb, l’arrivée du creux. On le remarquera aussi sur l’imagerie de vapeur d’eau.

Carte de 700mb le matin du 7 mai 2016 (étoile noire représente Wray).

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Carte de 700mb le soir du 7 Mai 2016 (étoile noire représente Wray).

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Tout se mettait donc en place pour que le nord-est du Colorado connaisse un épisode de temps violent, particulièrement des tornades.

 Cela dit, deux ombres au tableau étaient notables. Dans cette région, de part la nature élevée du terrain, la proximité des rocheuses et les température souvent plus froides en altitude, les orages ont tendance à se former rapidement, malgré la présence d’une EML. Nous espérions donc que celle-ci tempère la formation des courants ascendant pour que les orages restent le plus isolé possible. Aussi, avec la nature assez linéaire des hodographes, le risque de voir des supercellules se diviser et interagir ensemble était plus élevé . Néanmoins, la fenêtre d’opportunité semblait être près du nord-est de la dépression de surface, si les orages pouvaient rester dans le sillage du front chaud/quasi-stationnaire alors que la meilleure humidité allait se retrouver dans ce secteur.

Déroulement de la chasse.

Nous sommes donc parti de la ville de Hays au Kansas ce matin-là. Notre cible initiale était la ville de Sterling au Colorado, environ 90 km au nord-ouest de Wray.

Par contre, déjà en début d’après-midi une première ligne de faibles orages s’était formé dans la zone cible. Nous avons donc ajusté notre cible un peu plus au sud. Les observations de surface montraient que le front chaud ne se déplaçait vraiment pas rapidement vers le nord.

Observations en après-midi du 7 mai 2016 (étoile noire = Wray).

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Le show principal lui devait commencer par la montée des orages à l’intersection du front froid, de la dépression de surface et de la dryline en développement. Ce fût le cas en milieu d’après-midi.

 Nous avons donc commencé à suivre une supercellule en développement au sud de Cope, environ 70-80 km au sud-ouest de Wray. Ces orages semblaient cependant avoir un peu de misère à rester isolés et à bien se développer. Néanmoins nous avions droit à un beau spectacle de mammatus.

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 Nous avons dû remonter vers le nord sur des routes de terre assez peu entretenue (merci Xterra) puisque notre cellule devenait de plus en plus forte et montrait au radar des signes de grosse grêle. Comme on ne voulait pas se faire démolir le camion, nous devions devancer le tout.

Arriver sur une route plus au nord, un autre groupe d’orages situés au nord-ouest de notre position produisait des tornades selon les informations dont nous disposions. Que faire ? Lâcher la supercellule sur laquelle nous étions et qui semblait avoir de la misère ? Allez chercher ce groupe de cellules qui était quand même assez éloigné ? Après un peu de tergiversation, on décide de rester sur notre orage, toujours en gardant en tête qu’il devrait rencontrer des meilleures conditions éventuellement.

Nous repartons donc vers l’est afin d’avoir une vue dégagée sur la base de l’orage. La supercellule montrait des signes de renforcement et au radar, la présence d’un mésocyclone commençait à paraître.

Imagerie radar des précipitations (gauche) et de la vélocité (droite) à ce moment.

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Visuellement parlant, la supercellule devenait un peu plus définie, mais toujours rien de très spectaculaire.

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Cependant, dans les 10 minutes suivantes, l’orage a encore montré des signes de renforcement rapide. À un tel point qu’à un certain moment un wall-cloud et une formation suspecte sous le courant ascendant principal s’est formé. Par contre, cela a rapidement été englobé par de la pluie. Il s’agissait probablement de scud, mais cela annonçait aussi un changement dans la structure de l’orage qui devenait plus près de la surface.

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Nous avons par la suite vécu une anecdote assez inquiétante. L’activité électrique était très élevé pendant cette phrase de l’orage. À un certain moment, Mathieu entend un bruit de « TIC » répétitif dans le camion. On l’éteint pour voir si c’est un problème mécanique, mais le bruit continue. Marie-Maude remarque alors que mon fil de CB qui n’était pas branché produisait des étincelles et le bruit correspondait au moment ou ces étincelles bleues apparaissait. Il y avait donc probablement une charge électrique sur l’antenne !! Heureusement, il ne s’est rien passé par la suite, le tout c’est arrêté sans que rien ne se produise. Fiou !

Suite à cet événement, les choses se sont mise en place rapidement. La supercellule montrait maintenant des signes de maturation évident et d’autres orages commençaient à se former plus au sud de celle-ci. Les observations de surface montraient des vents de l’est juste au nord du front et les points de rosée dans l’ordre du 52-54°F. Aussi, les observations du profileur vertical des vents de Goodland au Kansas (environ 90 km au sud-est de Wray) montrait un potentiel d’hélicité 0-1 km de plus de 300 m2/s2 avec nos vents de provenance est.

Image satellite visible au moment des tornades. Notre supercellule est indiquée par la flèche rouge.

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Arrivés dans le village de Wray, nous sortons de la ville juste un peu au nord pour avoir une meilleure vue de la première supercellule qui allait produire une tornade. La cellule en question se déplaçait franc nord. Nous étions donc à l’écart du danger pour le moment même s’il fallait rester aux aguets puisqu’une autre supercellule se développait juste au sud.

Nous avons commencé par voir un petit entonnoir se développer sous la base. Puis celui-ci devenait de plus en plus gros. Après un bon 5 minutes il a fini par toucher le sol et la tornade à duré ainsi un autre 10 minutes environ.

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La tornade se dissipait et la supercellule du sud interagissait trop avec celle que nous observions. Il était temps de se repositionner vers le sud-est. Nous nous sommes un peu arrêté dans le village de Wray pour voir comment la supercellule évoluait et nous avons eu droit à quelques petits « spin-ups » près de nous.

Maintenant en direction est, un peu passé le village, nous avons encore décidé d’observer se qui ce passait. La supercellule était simplement magnifique. On voyait parfaitement le mésocyclone et il semblait se dessiner un « RFD cut » derrière celui-ci.

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Environ 10 minutes après cette photo, le nuage en entonnoir a commencé à se former juste devant nous. Le reste du spectacle fût incroyable pendant un autre bon 15 minutes.

 

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Imagerie radar au moment de la tornade. À gauche la réflectivité des précipitations avec l’écho en crochet. À droite, la vélocité des vents montrant la signature tornadique.

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Nous avons par la suite tenté de trouver une route vers le nord pour essayer de suivre la supercellule. Malheureusement, le réseau routier étant très peu élaboré dans cette région, il nous a été impossible de continuer à la suivre.

Nous avons donc mis un terme à la chasse. Nous sommes repartis vers le sud puisque dès le lendemain nous avions la possibilité de voir d’autres tornades au Kansas ou en Oklahoma. Ce fût toute une journée et nos efforts ont été récompenser en étant toujours à l’affût de ce qui se passait et en faisant confiance à nos prévisions.

La première tornade fût classée EF0 puisqu’elle n’a rien touché. La deuxième tornade a été classée EF2 avec des vents de 200-215 km/h. Elle aura parcouru environ 10 kilomètres et aura été d’une largeur d’environ 400 mètres à son plus large. Heureusement il n’y a eu aucun mort, mais quelques blessées ont été rapportés.

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