
Crédit photo: Gaétan Deschênes
La journée du 18 juin 2017 restera marquée dans l’histoire météorologique du Québec comme étant la journée la plus productive en matière de tornades. Initialement, quatre tornades ont été confirmées lors de cette journée. Une EF2 à Hébertville au lac Saint-Jean. Une EF3 à Sainte-Anne-du-lac dans les Laurentides. Une EF0 dans le parc des Laurentides. Une EF1 dans la ZEC de la boiteuse au nord du lac Saint-Jean. Une étude mené conjointement par l’université Western en Ontario et Environnement Canada a conclue que pas moins de 11 tornades au total ont touchés le sol dans la province. Avec une technologie satellite très avancée, ces découvertes ont pus être réalisées. De ces 11 tornades, 1 EF3, 4 EF2, 5 EF1 et 1 EF0 sur l’échelle de Fujita améliorée.
D’autres événements de temps violent se sont aussi produit lors de cette journée. Des rapports de grêle de taille allant de pièce des 5 cents jusqu’à des balles de golf. Une micro-rafale avec des vents estimés entre 140 et 160 km/h dans les hautes Laurentides.
Qu’est-ce que a mené à cette journée prolifique pour le temps violent ? Dans cet article je vais tenter de décortiquer l’atmosphère en place. Je vais aussi me concentrer sur le cas de la tornade d’Hébertville. Une tornade avec une trajectoire assez longue, 3.5 kilomètres officiellement, mais jusqu’à 10 kilomètres possiblement selon Environnement Canada. Nous allons voir que cet événement, pour le Québec, ne semblait pas hors de l’ordinaire. Avant de continuer, si vous n’avez pas trop de notions sur la formation des orages super-cellulaires et des tornades, je vous invite à lire l’article qui suit, surtout la première partie sur les ingrédients requis pour la formation des super-cellules.
Avant tout chose, je ne suis qu’un amateur de temps violent qui aime essayer de comprendre ce qui se passe. Cette analyse est faite sans prétention.
Synopsis météo – Soulèvement
Commençons par regarder l’atmosphère qui était en place pendant la journée. Dès le matin, il était clair qu’un système assez important était situé sur les grands lacs. La prochaine carte démontre le creux qui était visible ce matin-là à 700mb (~3km en altitude).
Carte de 700mb à 8h HAE.

Ce système était prévu de s’intensifier au courant de la journée tout en continuant d’avancer vers le Québec. La carte d’analyse de surface du matin montrait bien le système avec ses fronts. Un front chaud était étendu du Témiscamingue jusqu’au nord de la Gaspésie en passant par le Saguenay. Le front froid lui, était encore assez loin. Il était situé près des grands lacs au Michigan.
Position des fronts en fin de matinée à 11 HAE.

L’imagerie satellite infrarouge indiquait bien la position du front chaud. Juste au sud de la couverture nuageuse qui montait vers le nord-est.
Satellite infra-rouge à 12h HAE

Bref, notre source de soulèvement pour la journée ne semblait pas relié au front froid. Celui-ci était encore trop loin pour faire sentir son influence. Les fronts chauds eux, ne sont pas une source de soulèvement intéressant pour les orages tornadiques. Le soulèvement qu’ils produisent sont associés à des orages « sur-élevés ». Ce qui veut dire qu’un orage sera coupé d’une bonne partie de son énergie près du sol, que sa base sera plus élevée et que le tourbillon disponible près du sol ne sera pas ingéré. La convection reste possible, mais au-dessus de l’inversion de température qui est amenée au nord du front chaud. D’où le terme « convection sur-élevée ».

Le creux en approche par l’ouest revêt donc toute son importance à ce moment. Devant un creux en altitude, il y a souvent des petits creux pré-frontaux. Ils sont parfois visibles avec les observations de la surface ou l’imagerie satellite en vapeur d’eau. Un autre moyen de savoir si un de ces petits creux se balade dans un secteur, c’est le Differential Potential Vorticity Advection (DPVA). La DPVA est un processus qui contribue à forcer l’air en rotation vers le haut. L’atmosphère voudra alors compenser ce mouvement d’air, cela causera une baisse de la pression au sol. Un mouvement vertical dans l’atmosphère est alors créé. La DPVA est donc très souvent associé à un creux. Aussi, en montant, l’air deviendra plus frais et contribuera à ce que l’atmosphère devienne plus instable.
Carte montrant le tourbillon atmosphérique et le DPVA à 15 heures HAE. (Étoile noire pointée par la flèche rouge indique Hébertville)

Les zones importantes à retenir sur cette carte son celles entourées de bleus. Ces zones représentent l’endroit ou un mouvement ascendant est détecté. Les zones rouges représentent plutôt un mouvement descendant. Les zones colorées avec des X représentent des poches de tourbillons.
Image satellite au moment de la naissance de l’orage et pendant la tornade au sol. La cellule responsable est indiquée par la flèche rouge.

À noter qu’il faut que votre zone de DPVA où un creux peut se situer doit être dans le secteur chaud. Donc il faut que ce soit situé au sud du front chaud, pas au nord. Sinon vous aurez à faire à de la convection sur-élevée, n’oublier pas.
Un autre élément qui a attiré mon attention était une petite zone avec des vents convergent à l’ouest d’Hébertville. Était-ce une petite dépression à méso-échelle qui aurait pu favoriser un certain soulèvement aussi ? Ce n’est qu’une hypothèse. Cette zone était visible quelque temps avant la formation de la super-cellule responsable de la tornade.

Humidité
Un bon bassin d’humidité était déjà en place en matinée. Selon les observations rapportées, des points de rosés entre 11 et 13 degrés à 850mb étaient en face du creux principal. Un bon courant-jet de bas niveau d’environ 30 noeuds était aussi présent, important pour le transport et le maintien de l’humidité.
Carte de 850mb à 8h HAE.

Les cartes du mesoanalysis SPC montraient même en après-midi un peu plus d’humidité présente sur les secteurs allant jusqu’à 14° pour les points de rosés.
Carte de 850mb à 15H HAE.

L’humidité au sol dans les heures précédentes et au moment de la tornade était aussi optimale. Les observations de la station météo toute proche montraient une température de 22°C pour un point de rosé de 19°C. Rappelons que nous ne voulons pas un écart trop grand entre ces deux valeurs, autant au sol qu’à 850mb. Le risque de tornade s’en retrouve diminué lorsqu’un écart est trop grand puisqu’un bassin d’air plus frais et sec se crée sous la base du courant ascendant. La base des orages s’en retrouve plus élevée (LCL ou Lifting Condensation Level) et un courant ascendant qui ingère ce type d’air aura plus de difficulté à se maintenir. Deux prises d’importance contre la formation des tornades.
Observations de surface à 16h HAE.

LCL à 20h HAE.

Petite parenthèse ici. Une des raisons pour laquelle les régions dans la vallée du Saint-Laurent n’ont pas connu de tornade s’explique possiblement ainsi. Si vous remarquez sur la carte ci-dessus, les températures dans la vallée ont atteint 30-31°C en plusieurs endroits. Les points de rosés eux sont restés vers 19-20°C. L’écart était beaucoup plus grand, surtout plus on avançait dans la journée avec le réchauffement diurne. Lors de notre chasse nous avons d’ailleurs pus observer le tout. Au début les bases étaient plus près du sol, à ce moment nous avons eu droit à un entonnoir nuageux bref. Plus tard, les bases étaient plus hautes. La carte des LCL le montre aussi.
Vidéo prise à Saint-Alexis-de-Montcalm dans Lanaudière vers 14h HAE. Un wall-cloud avec un petit entonnoir se forme, les bases étaient plus près du sol.
Photo prise en Mauricie vers 15h30 HAE démontrant la base plus élevée de l’orage avec des précipitations tombant dans le courant principal (bassin d’air froid indiqué par les flèches bleues).

Énergie
Avec l’avancée du front chaud vers le nord en journée et un petit dégagement qui était dans le secteur chaud, une certaine énergie a pu se développer près de celui-ci. Une énergie qui était très limité, mais au Québec, le CAPE ne semble pas être un facteur primordial pour la formation des tornades.
Dans le graphique suivant, les boîtes grises, les chiffres noirs ainsi que les lignes noires verticales représentent les cas soumis par le Storm Prediction Center Américain. Les boîtes représentent les moyennes générales avec la moyenne inscrite à l’intérieur. Les lignes noires verticales sont les cas plus atypiques avec respectivement les cas maximaux et minimaux enregistrés. À noter que ce sont des cas de la région de la Tornado Alley.
Les boîtes et chiffres orangés et rouges ont été ajoutés par moi. Elles représentent les cas Québécois. J’ai analysé les 17 cas des journées enregistrés avec des tornades EF2+ au Québec depuis 40 ans. Ce n’est pas un très gros échantillon. Je travaille à mettre plus de cas, Ontarien notamment, pour avoir plus de données. Mais des quelques cas de l’Ontario que j’ai analysés jusqu’à présent, la même tendance se dégage.
J’ai bâti des téphigrammes et hodographes de chaque journée à l’aide du logiciel SHARPpy ainsi que de toutes les données archivées disponibles de ces journées avec l’aide du Storm Prediction Center, de Météocentre, des archives d’Environnement Canada ainsi que des archives du site de l’université du Wyoming. J’ai utilisé les cartes de surface, de 925mb, 850mb, 700mb, 500mb, 300mb et 250mb ainsi que les téphigramme et hodographe environnant pour extrapoler le tout et donner une idée de ce à quoi l’atmosphère pouvait ressembler un peu avant les événements tornadiques. Vu la quantité événements limité au Québec par rapport aux USA, il faut tempérer un peu les donnés. Par contre, toujours selon des études menées par le SPC, cela correspond aussi à la réalité des cas de tornades dans les parties est des États-Unis qui sont à l’extérieur de la Tornado Alley.
Graphique démontrant la différence du muCAPE entre l’incidence des fortes tornades (EF2+) aux USA (boîtes grises) et les 17 cas précédents de tornades fortes au Québec. La base de ces cartes est tirée du site web suivant: http://www.spc.noaa.gov/exper/mesoanalysis/help/begin.html

À noter que le graphique ci-haut représente le muCAPE, ou Most unstable CAPE. Il s’agit de l’endroit où l’atmosphère est le plus instable sous 300mb en altitude. Le Mixed layer CAPE (MLCAPE) représente quand à lui la moyenne d’énergie dans entre la surface et 100mb en altitude. Dans une autre étude ( http://www.spc.noaa.gov/publications/thompson/ruc_waf.pdf ) la moyenne de ce type de CAPE pour 54 cas de fortes tornades super-cellulaires tiré des 48 états inférieurs des USA était de 2152 j/kg. Pour les 17 cas que j’ai calculés au Québec, cette moyenne s’établissait à 1361 j/kg. Le cas d’Hébertville lui-même, à 720 j/kg était dans la basse moyenne. Il semble donc y avoir une constante là aussi, pour dire que la quantité d’énergie nécessaire à la formation des tornades est moins importante que le cisaillement des vents, dans notre climat.
La carte qui suit le démontre la valeur du CAPE de surface (SBCAPE). Cet aspect est aussi important pour le développement des tornades. Les valeurs étaient assez maigres dans le coin d’Hébertville et du lac Saint-Jean. Il est possible qu’au moment de la tornade, elles étaient un peu plus élevé qu’indiqué sur cette carte. Rappelons-nous que cette zone était dans une zone de DPVA positive. Ces zones sont aussi souvent favorable à une baisse de température plus rapide en altitude, cela résulte en un peu plus d’énergie. Ce genre de choses à plus petite échelle a tendance à être mal interprété par les cartes modélisée. Nous le verrons plus tard sur le téphigramme simulé de l’événement.

Un autre aspect du CAPE cependant, le 0-3km CAPE, était un peu plus intéressant. Le CAPE 0-3 km est la quantité d’énergie disponible dans les 3 premiers kilomètres de l’atmosphère. Un fort CAPE 0-3 km (50 J/kg et plus) est en place particulièrement lorsque le LFC et le LCL sont assez bas. Quand cet indice est relativement fort, cela permet un meilleur chevauchement entre la vorticité horizontale (créé par le fameux cisaillement des vents en vitesse et en direction) et l’initiation du courant ascendant. La circulation du mésocyclone de bas niveau en bénéficiera puisque la force du courant ascendant sera aussi rehaussée et créera un meilleur étirement vertical. Cet étirement, mis en relation avec le RFD qui descend et s’enroule dans le courant ascendant, a aussi souvent été mis en cause pour la formation des tornades. Les deux phénomènes, en interagissant ensemble, introduisent aussi une augmentation rapide de la rotation, un peu comme un patineur de vitesse qui se replie sur lui-même. La tornade prend alors forme.
Carte 0-3km CAPE à 15h HAE.

La zone était près d’un secteur d’environ 50 j/kg. Cette valeur est souvent considérée comme un minimum permettant une bonne accélération des courants ascendants qui contribuent à l’étirement vertical. Cela a donc peut-être contribué à l’événement. Nous le verrons avec le téphigramme plus loin.
Cisaillement des vents
Le cisaillement profond (0-6km) était puissant sur une bonne partie du Québec lors de cette journée. Avec des valeurs avoisinant les 50 noeuds, il était plus que suffisant pour supporter des super-cellules.

Le cisaillement 0-6 km est un bon indicateur du potentiel de super-cellule, cependant il n’est pas très fiable concernant le potentiel de tornade. Si on veut évaluer ce potentiel, il est préférable de regarder ce qui se passe dans les bas niveaux de l’atmosphère. Particulièrement entre la surface du sol et 1 kilomètre en altitude. Un des indices que nous regardons sera le cisaillement 0-1 kilomètre. Donc la différence et la direction des vents entre la surface et 1 kilomètre. Dans le cas qui nous intéresse, des valeurs d’environ 30 noeuds étaient présentes sur le secteur.
Carte des vents entre 0-1km à 16h HAE.

Il est possible de mettre cet indice en relation avec la la hauteur de la base des nuages. Lorsque les LCL et le cisaillement entre 0-1 kilomètres sont dans des phases favorables, le risque de tornade s’en trouve augmenter, avec évidemment d’autres conditions comme le cisaillement directionnel et le CAPE de bas niveau (source: Thompson, Craven and Brooks 2002-2003).
Le graphique suivant montre la probabilité des événements de tornades avec la relation entre le cisaillement 0-1 kilomètre et la hauteur du LCL. La période étudiée s’est étendu de 1973 à 1993. Il est important de noter que pour chaque élément coloré avec un chiffre de probabilité, au moins 30 analyses de l’atmosphère ont été intégré. Il s’agit aussi de cas d’études avec la présence d’un mésocyclone de bas-niveau. Les événements de tornades qui ne sont pas reliés à un mésocyclone ne sont donc pas comptabilisés dans ce graphique.

Pour le cas de la tornade d’Hébertville, avec une parcelle d’air qui s’élevait directement du sol (surface based) j’ai pu déterminer avec le téphigramme simulé de l’événement (que je monterai bientôt) que le LCL était situé à environ 450-500 mètres d’altitude. Si on prend la colonne du LCL à 500 mètres sur le graphique ci-haut et qu’on monte jusqu’à la valeur de 30 noeuds sur la colonne du cisaillement 0-1 km, on obtient .66. Cela représente 2 chances sur 3 d’avoir un événement de tornade avec cette combinaison, ce qui n’est pas banal.
Un autre facteur important à vérifier, l’hélicité. L’hélicité est la quantité mathématique dérivée du cisaillement en vitesse entre une certaine hauteur, du cisaillement en direction entre une certaine hauteur ainsi que de la force et de l’alignement des vents de bas niveau par rapport aux deux autres variables qui sont ingérés dans le courant ascendant d’un orage. Le résultat est en mètre-seconde (m2/s2). L’hélicité entre 0-1 km dans l’atmosphère est souvent reconnue comme un bon indice pour la formation des tornades.
Carte de l’hélicité 0-1km à 16h HAE.

Analyse globale de la situation.
En mettant toutes les choses en perspective, voici ce qui donnait le profil atmosphérique potentiel au moment de la tornade. La carte ci-dessous est une carte d’analyse de surface que j’ai recrée manuellement à partir des données présentes sur la page de mésonalyse du Storm Prediction Center.

La région affectée par la tornade est entourée de noirs sur l’image. On y retrouve la position du front froid (ligne avec les triangles bleus) qui était encore loin. Le front chaud (ligne avec les demi-cercles rouges) qui s’étendait près de la région. La grosse flèche rouge représente le courant-jet de bas-niveau. Celui-ci entrait sur la région avec force (40-50 noeuds). La flèche bleue foncée parallèle à la rouge indique la position de l’entrée du courant-jet en haute altitude (60-65 noeuds). La flèche bleue pâle perpendiculaire aux autres indique la direction et la vitesse du vent à 500mb (45-50 noeuds). Devant le front, il était intéressant de voir l’advection d’humidité qui rejoignait le front chaud. C’est indiqué par les contours verts.
Voici maintenant un téphigramme simulé du possible environnement dans le secteur. Ce téphigramme a été bâti avec les données d’archives disponibles sur le Storm Prediction Center, Météo Centre UQAM et le site d’Environnement Canada. Il est basé sur les observations du matin de Maniwaki.

Noter que toutes les valeurs de tous les éléments que nous avons vues avant, se retrouve sur ce graphique dans les cases inférieures gauches du tableau. Le « 3CAPE », ou 0-3km CAPE montre une valeur de 60 j/kg. Compte tenu du peu d’énergie en place, celle-ci semblait assez concentrée dans le bas de l’atmosphère. Une valeur favorable au développement des tornades.
Maintenant, si on regarde l’hodographe, la partie supérieure droite du graphique, on remarque que les vents sont dans un profil très favorable. La quantité d’Hélicité effective qui pouvait être ingérée par les super-cellules bougeant à droite du vecteur normal de déplacement des orages était très bonne, estimé à 270 m2/s2. L’hélicité effective (ESRH) tient compte de l’endroit où les courants ascendants deviennent absolument instables, est aussi souvent utilisée pour faire la différence entre les orages tornadiques ou non, et voir la profondeur de l’hélicité.
Voici deux tableaux qui donnent aussi un indice sur la corrélation des événements tornades en relation avec l’Hélicité effective et celle de 0-1 km. Le principe des boites grises et colorés est le même que précédemment.


Selon le téphigramme, des valeurs de 270 m2/s2 pour l’hélicité effective et de 250 m2/s2 pour le 0-1 km était en place. La tornade d’Hébertville se situe donc bien dans la moyenne des événements de fortes tornades (EF2 et plus).
Dans ce cas-ci, un calcul d’angle avec la trajectoire des dégâts de la tornade m’a permis de constater que l’orage était bien « right mover » mais pas autant que sur le point indiqué RM sur l’hodographe. Cela fait que les quantités d’hélicité sont probablement un peu différentes, mais pas assez pour créer une grosse différence, visiblement.

Si on se concentre sur l’hodographe encore plus, on peut remarquer la mention « Critical Angle ». Cet aspect est de plus en plus étudié pour reconnaître les événements tornadiques. L’angle critique est calculé selon le vecteur du sens de déplacement des orages et le vecteur du premier point des vents de surface et 500 mètres en altitude. Selon une étude menée par les météorologues John M. Esterheld et Donald J. Giuliano en 2008 (réf: http://www.ejssm.org/ojs/index.php/ejssm/article/view/33/37 ), cette tranche de l’atmosphère est celle qui permet de mieux discriminer les cas de tornades.
Notre cas ici montrait un angle critique de 75. Avec le tracé du déplacement de l’orage et de la tornade, cela semble concorder avec le point RM (Right Mover) sur l’hodographe.

Voici un tableau fait par les deux météorologues. Il a été réalisé à partir de 67 cas convectifs, pris entre 1997 et 2004. 65 de ces cas provenaient d’événements super-cellulaires car c’est ce qui nous intéresse ici. Ce sont des cas pris dans les plaines Américaines. À noter que lorsqu’on parle de faibles tornades, je fais référence aux tornades EF0/EF1. Les cas de fortes tornades sont des cas de EF2 et plus.

Pour des cas de fortes tornades, il apparaît clairement qu’un angle de 90 degrés (entre 80 et 100) est présent un peu plus de 55% du temps. Cependant le climat des plaines du centre Américain diffère de celui que nous connaissons. Une autre étude a été mener par les météorologues Jared L. Guyer et John A. Hart du Storm Prediction Center (réf: http://www.spc.noaa.gov/publications/guyer/ef3_vwp.pdf ). Celle-ci se concentrait sur la région sud-est des États-Unis. Cette région est reconnue comme étant un peu plus près de la nôtre concernant la formation des tornades. Les cas de tornade avec un faible CAPE et un fort cisaillement y sont plus fréquents, comme ici, que dans les plaines centrale Américaine.
Cette étude a été mené entre mai 2008 et Décembre 2011. Elle se concentrait sur les tornades EF3 et plus qui provenaient de super-cellules. 48 cas ont été identifié comme répondant aux critères de l’étude. Voici le tableau montrant les résultats concernant l’angle critique dans ces cas.

Il semble que l’angle critique soit un peu plus bas dans cette étude. Une moyenne de 77 a été calculé. Il est important de noter que l’échantillonnage demeure assez bas et d’autres études plus approfondies seront faites concernant les angles critiques.
L’hodographe qui nous intéresse ici montrait un angle critique de 75 degrés. Il s’agissait d’une forte tornade. Si on se fie au graphique pour les plaines du centre Américaines, cela tombe dans un cas de moins de 10%, à la limite des cas plus fréquents. Par contre, avec le tableau du sud-est des USA, le cas tombe près de la moyenne. Avec la climatologie des tornades d’ici qui semble plus près de celle du sud-est des USA, on peut penser que ce cas se rapproche davantage de ceux-ci statistiquement parlant, quoiqu’on n’y parle que des cas de tornade EF3+. La tornade d’Hébertville a été classée EF2. On peut y voir un petit rapprochement, mais nous sommes loin des certitudes.
Effets locaux.
Avec les vents qui étaient de direction est-sud-est près du front, le courant-jet de bas niveau venant du sud-ouest et plus de tendance ouest sud-est en mi-altitude, le cisaillement directionnel était excellent. Le front chaud a très certainement contribué à garder les vents à tendance est, mais aussi, l’effet local de l’orientation de la vallée du Saguenay a certainement joué un rôle. Cette vallée est orientée est-sud-est, parfaite pour une canalisation des vents en provenance de cette direction. C’est un des deux effets locaux qui ont pu contribuer à la formation de cette tornade.

Un autre effet local possible, aura été les petites montagnes entourant la vallée en question. Voici une carte de la trajectoire approximative de la tornade que j’ai pu établir avec les photos et vidéos, les rapports de dégâts et différents récits des gens.

Si on regarde l’endroit du début approximatif de la tornade, on remarquera que cela se fait en sortant non loin des montagnes. Voici deux images prises en hauteur qui donnent un aperçu avec le corridor d’arbres abattus.
Crédit des images: Stéphane Simard


Lorsqu’un mésocyclone rencontre une dénivellation vers le bas, cela aurait tendance à augmenter l’étirement et amener le resserrement du courant ascendant ce qui a comme effet d’augmenter la vitesse de rotation (vorticity stretching). Voici d’ailleurs un extrait, traduit, de la conclusion d’une étude de maîtrise en science géographique par Kathryn A. Prociv: « … Les résultats suggèrent que la topographie a un impact sur les caractéristiques de rotation de bas niveau des orages super-cellulaires. Les petites élévations et les pentes peu abruptes contribueraient à augmenter la force de rotation de l’orage, alors que les élévations plus hautes et les pentes raides diminueraient la rotation… » (réf: https://theses.lib.vt.edu/theses/available/etd-05092012-094035/unrestricted/Prociv_KA_T_2012.pdf )
La tornade vue du radar de Lac Castor (interprété par Radar Scope).
Avant de continuer, si vous n’avez pas de notions sur le fonctionnement de certains principes de détections des radars pour la chasse d’orages, voici un petit article pour vous: Comment détecter la rotation d’un orage à l’aide d’un radar
Regardons un peu la tornade vue par le radar maintenant. Le radar du Saguenay est situé près de Lac Castor à environ 50/60 kilomètres de l’événement. À cette distance la hauteur du faisceau radar en mode « tilt 1 » qui est le plus bas est de 600-700 mètres de hauteur (2000-2300 pieds). Pour le « tilt 2 », on parle d’une hauteur de 1600-1700 mètres (5250-5600 pieds).
Dans cette région, le radar est situé non loin de zones montagneuses. Cela peut donc induire une atténuation du faisceau radar, particulièrement au tilt 1, qui pointe plus bas. Voici une image radar tirée de ce tilt au moment ou la tornade était passée Hébertville.

Sur l’image de réflectivité des précipitations en haut, on remarque bien un écho en crochet, signe de rotation. Cependant sur l’image de la vélocité des vents dans le bas, l’écho est incomplet. On peut deviner qu’il semble y avoir une zone de rotation, mais pour être certain, il faudra aller sur le tilt 2. Voici l’image du radar dans cette configuration, au même moment.

Le couplet de rotation en vélocité apparaît maintenant plus évident. Il existe un moyen simple d’évaluer la force d’un mésocyclone. Tout d’abord, vous devez être certains que ce que vous regardez est bien un mésocyclone. Ensuite, vous prenez la valeur maximale détectée dans le méso des vents qui vont vers le radar. Faites la même chose avec la valeur des vents qui vont à l’opposé du radar. On additionne ces deux valeurs et on divise par 2. Ensuite il suffit de mettre le tout en relation avec la distance du radar.
Avec les données disponibles sur RadarScope, j’ai pu déterminer que la force maximale de vélocité qui allait vers le radar était d’environ 42 mètres seconde à ce moment. Les vents à l’opposé du radar étaient d’environ 10 mètres-seconde. En additionnant ces deux chiffres ça donne 52 m/s qu’on divise par deux. Le couplet de vélocité était donc d’une force de 26 m/s.
Lorsqu’on le met en relation avec la distance du radar, qui était à environ 50-60 kilomètres, aucun doute que nous avions à faire à un fort mésocyclone. Voici le tableau aidant à visualiser le tout. Les chiffres du bas représentent la distance en kilomètres du radar par rapport au mésocyclone. Les chiffres sur le côté gauche sont les valeurs possibles du couplet de vélocité en mètres-seconde. L’étoile noire que j’ai ajoutée est le cas de la tornade d’Hébertville figuré avec l’image radar plus haut.

Il existe un autre tableau, créé à partir de plusieurs centaines de cas, pour tenter d’évaluer la force potentielle d’une tornade selon l’intensité du couplet de vélocité.
Ce qui va nous intéresser dans le tableau suivant est la moitié droite du graphique, à partir du rectangle rouge qui entoure les « Sup EF0 ».Les chiffres sur le côté gauche sont les valeurs possibles du couplet de vélocité mais cette fois en noeuds. En convertissant 26 m/s en noeuds, cela donne 50.5 kts.

J’ai donc ajouté la valeur dans le rectangle gris correspondant à « Sup EF2 ». Il est important de noter que les donnés pris pour faire ce graphique ont été faites entre 112 et 163 kilomètres du radar et entre 6000 à 10 000 pieds d’altitude (1830 – 3050 mètres). En tilt 2, nous à cette distance, le cas d’Hébertville était entre 5250 et 5600 pieds (1600-1700 mètres. Néanmoins, cela concorde près de la moyenne des événements de type EF2 rapporté dans cette étude.
Cette autre image, qui elle comprend des valeurs à l’intérieur de 130 kilomètres du radar, suggère plutôt que le cas présent tombe dans la catégorie « overlap » entre EF1 et EF2. Le « TDS » dans la colonne de droite fait référence à la hauteur du « Tornado Debris Signature » auquel je n’ai pas eu accès.

Performance des modèles
Les modèles semblent avoir assez bien fait dans l’ensemble pour voir le potentiel de temps violent lors de cette journée. Déjà à quelques jours d’avance, le NAM 12km voyait un potentiel intéressant à l’est du lac Saint-Jean. L’image suivante provient de ce modèle à 81 heures avant l’événement.

Les sorties de modèles subséquentes montraient pas mal toutes un profil similaire. Même chose pour ce qui était du positionnement du système frontal. Voici une image tirée du NAM 12km à 21 heures de l’événement. Le GFS était bien aligné sur ce scénario aussi.

Voici maintenant une carte tirée du modèle d’ensemble SREF disponible sur le site du Storm Prediction Center. Cette carte montre un combiné de plusieurs ingrédients pour la formation de tornades. Elle prend compte les paramètres suivants: MLCAPE d’au moins 500 j/kg; MLLCL d’un maximum de 1.5km en hauteur; Hélicité 0-1 km d’au moins 100 m2/s2; Cisaillement 0-6 km d’au moins 40 noeuds; Une zone où des précipitations sont prévues par les modèles. La formule est indiquée dans le bas de l’image.

Cette image datait de 12 heures avant l’événement. Encore une fois, plusieurs sorties précédentes montraient un tel scénario. Les conditions étaient donc très certainement favorables pour le développement de plusieurs tornades sur le Québec lors de cette journée.
Conclusion
Il s’agit d’un événement qui semble typique pour le climat du Québec. Typique mais tout même très intense. L’événement a été caractérisé par la présence d’un creux causant une large zone de mouvement vertical. Localement possiblement un creux pré-frontal, peut-être une petite dépression à méso-échelle auront favorisé le soulèvement.
Un écart entre les températures et les points de rosés très favorables dans la zone où les tornades ont eu lieu. Cela mène à un LCL (la base des nuages) beaucoup plus bas en altitude. L’écart beaucoup plus grand explique en partie pourquoi il n’y a pas eu de tornade plus au sud.
Peu de CAPE et mais un 0-3KM CAPE de valeur intéressante. Ce type de CAPE favorise l’étirement vertical, rappelons-le. Un cisaillement de moyen niveau très bon. Même chose pour celui de bas niveau, autant en force que directionnel. Une combinaison amenée grâce au front chaud non loin, à l’effet local de la vallée du fjord du Saguenay et à l’arrivée d’un bon courant-jet de bas niveau.