Une journée fort chargée de temps violent s’est produite le lundi 21 Juin 2021 dans le sud du Québec. Malheureusement, pour la première fois dans la province depuis le 9 juillet 1994, une personne est directement décédé des conséquences d’une tornade.
Qu’est-ce qui a mené à cet événement ? Dans cet article je vais y aller de mon analyse de la journée. Aussi, Environnement Canada a été sévèrement critiquer pour le manque d’alerte sur cet événement. Est-ce que c’était justifié ? Je vais tenter d’y répondre avec mon opinion sur le sujet mais aussi de façon constructive. Je peux déjà vous dire que ce n’était pas quelque chose de très évident, à moins d’avoir suivi cette cellule orageuse spécifique depuis sa naissance.
Synopsis Météo
Depuis quelques jours, les modèles météo anticipaient qu’une dépression assez forte pour la saison allait toucher la province pour le 21. En après-midi, on pouvait voir le centre de la dépression située en Abitibi. La pression était de 989 millibars et continuait de descendre. Lors de l’analyse atmosphérique du matin, on pouvait aussi voir un bon creux en altitude, centré sur la baie d’Hudson, mais son influence se faisait sentir jusque sur le mid-ouest Américain. L’axe du creux commençait à virer en « negative tilt », un indice que nous avons à faire à un système qui va en se renforçant.
Image du creux visible à 700mb

Image de surface à 14h le 21 Juin

Un des principaux acteurs météorologiques de la journée allait être un front chaud. Celui-ci a fait son entré dans le sud du Québec dans la matinée. Devant celui-ci, il y avait une bonne couverture nuageuse ainsi que des précipitations. Une des questions de la journée était de savoir comment ce front chaud allait évoluer. Est-ce que la masse d’air derrière aurait le temps de récupérer pour devenir instable avec de l’ensoleillement ? Il s’agit d’un enjeu lors de beaucoup de situations ou il y a un potentiel de tornade au Québec. Je rappelle que les fronts chauds sont une excellente source d’hélicité (ou tourbillon) puisqu’ils aident beaucoup à créer du cisaillement directionnel. Mais si la masse d’air ne peut se déstabiliser parce que la couverture nuageuse est trop importante, il n’y aura pas de formation d’orages.
Position du front chaud vers 14h le 21 Juin

Vers 14h, soit environ 1 heure 45 minutes avant la tornade, la position approximative du front chaud était au nord de Montréal, entre Lanaudière et la Mauricie. La couverture nuageuse c’était bien morcelé suite à son passage ce qui a permis d’aller chercher des valeurs de CAPE (énergie requise pour la formation des orages) entre 1500 et 2500 j/kg sur le sud du Québec. Sur les cartes suivantes, Mascouche est situé ou j’ai ajouté un point noir.
Carte des valeurs de MLCAPE pour 15h.

Un autre facteur qui aurait pu faire en sorte qu’aucune tornade ne se produise ce jour-là aurait été l’assèchement de la masse d’air au sol dû à trop d’ensoleillement ! Oui, car pour avoir des tornades, ça prend plusieurs ingrédients, mais ces ingrédients doivent aussi être bien dosés. Pas assez de soleil, pas d’orages, mais trop de soleil contribue à assécher la masse d’air. Ça fait en sorte que les températures montent beaucoup au sol et les points de rosée eux tombent parce l’humidité se dilue trop. Des orages violents peuvent se former, cependant la base des nuages sera beaucoup plus haute ce qui entraine deux problèmes pour la formation des tornades. De un, une base haute donne plus de difficulté à un tourbillon pour se former. De deux, l’air plus sec contribue à la formation de rafales descendantes plus froide et intense. Ces courants descendants très fort et trop froid ne font pas bon ménage pour la formation des tornades. Ce fut le cas par exemple lors de la journée du 18 juin 2017. Le front chaud était allé beaucoup plus au nord et le sud du Québec avait bénéficié de beaucoup d’ensoleillement. L’écart entre les températures et les points de rosée s’était accentué énormément. Au début de la journée nous avons suivi un orage qui a produit un nuage en entonnoir avec un wall-cloud plutôt bas. Cependant plus la journée avançait et plus les bases nuageuses étaient hautes. Il n’y a pas eu de tornade. Par contre plus au nord, là ou les températures et le point de rosée étaient plus proches, il y a eu de nombreuses tornades, dont celle d’Hébertville au lac Saint-Jean.
Mais le 21 juin, cela ne s’est pas passé comme ça. Le front chaud n’est pas remonté aussi loin, et un creux pré-frontal est venu donner l’étincelle que ça prenait pour déclencher les orages. Sur l’image qui suit, j’ai ajouté la position approximative du front chaud vers 16h (ligne rouge pleine) ainsi que la position du creux (ligne rouge cassée).

La masse d’air était aussi bien humide, même plus haute en atmosphère, ce qui donnait déjà un indice que l’humidité ne serait un problème lors de cette journée. Sur la carte suivante, le Québec est dans le coin en haut à droite.
Carte de 850mb montrant une bonne advection d’humidité le matin (lignes vertes)

Comme je le mentionnais plus tôt, les fronts chauds apportent une grande quantité d’hélicité avec eux. Sur la prochaine carte, la quantité d’hélicité représentée est celle pouvant être ingérée dans l’influx entrant qui nourrit l’orage. Des valeurs entre 200 et 300 m2/s2 étaient présentes sur le sud de la province. Ce genre de valeur peut être associé à des fortes tornades (EF2 et plus).

Voici un skew-t, représentation de l’atmosphère avec l’altitude, que j’ai modifiée pour représenter davantage la situation près de Mascouche peu avant la tornade. J’ai surtout modifié la partie de l’hodographe (dans le coin en haut à droite) pour représenter plus les conditions du cisaillement ici. Le skew-t de base est celui qui a été observé à 20h ce soir à Albany dans l’état de New York un peu au sud de nous. À 15h, la station de l’Assomption dans le sud du Québec rapportait 86F/71F (30 Celsius pour la température de l’air sur 22 Celsius pour la température du point de rosée. La même que celle d’Albany le soir, le profil thermodynamique était donc probablement assez semblable. Un autre indice à surveiller est aussi le DCAPE ou Downdraft CAPE. Cet indice donne la quantité d’énergie disponible pour les courants descendants. Pour cette journée-là, le sud du Québec était aux alentours de 800 j/kg. Ce qui est assez fort mais pas trop non plus. Une chose aussi importante pour la formation des tornades car des courants descendants trop puissants amène de l’air plus froid ce qui débalance l’équilibre fragile des ingrédients requis. Généralement, des valeurs de DCAPE au-dessus de 1000 j/kg ne favorisent pas la formation de tornades, mais de micro-rafales oui.

Une grande quantité de tourbillon était disponible pour les orages. La cellule de Mascouche bougeait un peu plus au nord-est que le vecteur indiqué sur l’homographe, qui lui suggérait des orages du type « right mover » avec un déplacement franc est. La quantité de tourbillon disponible pour cette super-cellule était donc probablement moindre que le 233 m2/s2 suggéré dans l’influx entrant mais pas énormément.
À noter aussi qu’une quantité importante de l’énergie disponible dans l’atmosphère ce jour la était emmagasinée dans les 3 premiers kilomètres de l’atmosphère. Le 0-3 kilomètre CAPE est un indice important permettant de voir la force des courants ascendants. Des courants ascendants puissants sont un ingrédient important dans la formation des orages violents mais aussi des tornades. Sur le sud du Québec ce jour-là, il semble que des valeurs entre 100 et 150 j/kg étaient présentes. Des valeurs à partir de 50 j/kg sont considérés intéressantes pour la formation des orages violents/tornades.

Les modèles météo montraient aussi depuis quelques temps un potentiel important au niveau des orages mais aussi des tornades ce jour-là La carte qui suit est une carte qui montre les chances de tornades selon plusieurs paramètres, comme l’énergie, les précipitations, le cisaillement ainsi que la hauteur de la base des nuages. On peut voir que les indices étaient très importants au dessus du Québec.

Analayse radar de la supercellule
La cellule orageuse responsable de la tornade de Mascouche a pris naissance vers 15h près de Mirabel. Environ une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Mascouche.

L’orage est né dans un complexe multi-cellulaire comprenant d’autres orages. À ce moment la, il était encore impossible de dire que cette cellule spécifique allait produire une forte tornade. Cela prend souvent un petit moment avant qu’une cellule orageuse devienne mature et puisse produire une tornade.
Dans le cas de Mascouche, cette cellule allait rapidement acquérir de la rotation. Peu de temps après cette image, des signes de rotation allaient déjà commencer. Déjà vingt minutes après sa naissance, l’orage montrait un écho en crochet, signe de rotation dans cette cellule. J’ai assemblé dans la prochaine animation les images radars disponibles du site de Blainville. Dans l’image de gauche, il s’agit de la représentation des précipitations, dans celle de droite, de la vélocité des vents. Pour la vélocité des vents, la couleur verte signifie des vents qui vont vers le radar, tandis que le rouge, les vents en direction opposée du radar.
Souvent avant la genèse d’une tornade, il y aura une certaine convergence des vents dans la cellule. J’ai voulu ici représenter le tout en ajoutant les flèches et lignes blanches dans l’animation. À ce moment là, il s’agissait d’un signe important que quelque chose se passait et qu’on avait à faire à une super cellule. Ces signes sont arrivés environ 10 à 15 minutes avant la tornade.
L’atmosphère ce jour la était explosive pour ce genre de développement rapide. La tornade a commencé à prendre naissance peu de temps après et on a pu voir un « débris ball » visible sur l’imagerie radar à 15h45. Sur l’image de droite, il s’agit toujours de la représentation des précipitations. J’ai entouré en bleu l’endroit ou le débris ball était visible. Sur cette image, le radar interprète les débris comme des précipitations très fortes au bout du crochet. Sur l’image de droite, il s’agit du coefficient de corrélation. Cette mesure permet de voir la dimension et la forme des particules captées par le radar. Lorsque les températures deviennent plus froides, comme le vert et le bleu, cela indique que le radar voit des formes hétérogènes, donc des particules sans la même forme et/ou direction, dans le jargon on parle d’un « CC drop ». Quand un débris ball sur la réflectivité et un « CC drop » sur le coefficient de corrélation sont vis-à-vis sur superposé comme ici, il y a de très fortes raisons de croire qu’une tornade est en cours.

En poussant l’analyse un peu plus loin, il est possible de voir que les débris ont été capté par le radar de Burlington à une centaine de kilomètres au sud. La hauteur maximale des débris semble avoir été d’environ 10 000 pieds (3.3 kilomètres) dans l’atmosphère.

En regardant les donnés de l’image suivante, on peut voir qu’une telle hauteur de débris peut correspondre à une forte tornade (EF2 et plus) car la ligne rouge que j’ai ajoutée correspond dans les percentiles très probables de ce type de tornade.

Une des choses qui a très bien pus compliqué le travail était que la vélocité des vents au moment ou la tornade a pris naissance était contaminé par un phénomène du radar. Le « second trip echoes » est dû à un vieux faisceau radar captant des orages plus lointains mais ou le faisceau en retournant au radar est procédé comme un nouveau faisceau alors qu’il n’en est pas un. Cela va créer des effets de ligne dans le radar et une vélocité très bruitée et non fiable (explication provenant du météorologue Dave Sills). Il était alors très difficile de voir une rotation serrée, signe de tornade, à ce moment là.

Conclusion
Au final, 4 tornades auront été confirmés lors de cette journée. Deux micro-rafales aussi. La majorité des autres événements de temps violent se sont produit là ou plusieurs, dont nous-même en avions fait la prévision, dont les météorologues d’Environnement Canada aussi. Ceux-ci produisent une carte lors des journées de temps actifs et ils avaient correctement identifié la zone risque pour le temps violent et les tornades. Les météorologues sur place étaient très qualifiés pour savoir que la journée allait être occupée. Ils ont d’ailleurs émis une alerte de tornade pour celle qui a touché St-Narcisse-de-Beaurivage au sud de Québec.
Alors pourquoi Mascouche est-elle passée sous le radar ? Les météorologues suivaient bien sur l’évolution de plusieurs cellules en même temps. Peut-être faudrait-il plus de personnel lors de ces journées ciblées comme étant dangereuses ? Ça aurait certainement pus aider. Il faut ajouter le fait que la super cellule en question est devenue dangereuse très rapidement. En quelques scans radar, il fallait prendre une décision, si on l’avait suivi depuis le début.
Mais la ou je crois qu’il y a un manque, c’est plutôt dans le fait de ne pas avoir émis de veille de tornades. Ici je ne blâme pas les météorologues, mais plus le conservatisme qui semble y avoir chez Environnement Canada en général à ce sujet. J’ai très rarement vu des veilles de tornades au Québec. Pourtant cela pourrait être un instrument majeur dans la prévention face au temps violent. La journée de lundi méritait clairement une veille de tornade et non seulement une veille d’orages violent. Plusieurs journées dans le passé aussi en auraient mérité. Je sais que les veilles d’orages violents portent souvent des mentions que les orages peuvent produire des tornades. Le message premier n’est pas mis sur les tornades cependant, l’information risque de moins voyager. Lors des journées ou le potentiel est vraiment présent, c’est à mon avis le mot tornade qui devrait être en priorité.
Je crois aussi qu’il y a un travail d’éducation à faire avec le public. Les gens doivent comprendre la différence entre la veille d’orages violents et la veille de tornade. Une veille de tornade, cela veut dire que non seulement des orages violents sont possibles, mais le risque que ceux-ci donnent des tornades lors de cette journée est important. Cela ne garantit pas à 100% qu’une tornade ou même un orage touchera votre localité, mais si jamais on voit que des orages se dirigent vers nous, avoir un plan et être au courant des risques est important. Nous avons des tornades au Québec. Probablement même plus que nous pensions, nous le savons maintenant grâce en partie au Northern Tornado Project.
En terminant, je veux dire qu’il s’agit simplement de mon opinion sur le sujet, je ne suis pas dans le secret des dieux et si je suis dans l’erreur, je l’accepte et serai ravi d’avoir des avis contraires au mien. Je veux aussi rappeler que nous sommes tous humains et des erreurs peuvent survenir n’importe quand. Même avec les meilleurs systèmes d’alertes ou protocoles en place, il y aura toujours des erreurs, ça arrive, personne n’y est à l’abri. Les météorologues auraient très certainement souhaité pouvoir lancer l’alerte à temps pour Mascouche ce jour-là, il ne faut pas en douter.
Pierre-Marc Doucet.
Super P-M !!! Vous êtes formidables pour vulgariser les évènements..
J’aimeJ’aime