Crédit photo: Claude Gaudreault
Lors de la journée du 20 Juin 2016, la Québec a subi plusieurs orages violents avec un vigoureux système. Nous avons d’ailleurs chassé lors de cette journée et voici le résumé ainsi que l’analyse de notre journée de chasse: Chasse du 20 Juin 2016
Dans la soirée du 27 Juin, Environnement Canada a confirmé qu’une tornade de force EF2 avec des vents estimés à 190 km/h avait touché terre le 20 Juin à Lac-Verne, au nord-ouest de La Tuque en Haute Mauricie. Deux personnes ont d’ailleurs été gravement blessés suite à l’effondrement de leur chalet qui a été touché par la tornade (photos du haut). Heureusement, ils sont hors de danger à présent.
Les conditions étaient assez propices sur la province pour que des tornades se produisent lors de cette journée. Cependant, le fait qu’une forte tornade ait été rapporté demeure un peu plus discutable à première vue, compte tenu de la nature de l’environnement en place.
Il faut savoir qu’en plus de l’échelle de Fujita amélioré qui classifie les tornades de EF0 à EF5, il existe une espèce de classement non officiel qui désigne les tornades comme suit: EF0-EF1: tornade d’intensité faible, EF2-EF3: tornade d’intensité forte, EF4-EF5: tornade d’intensité violente. Au Québec, les plus fortes tornades enregistrées ont été des EF3.
Voici donc une petite analyse, sans prétention car je suis avant tout un chasseur d’orages et un pur passionné de météorologie, qui tentera de faire comprendre comment cet évènement est survenu. Le climat du Québec et des plaines américaines est différent, je vais d’abord tenter d’expliquer un peu les différences entre les deux en démontrant des indices importants pour la formation des tornades. Mais tout d’abord, voici comment les super-cellules se forment.
Les références et les liens pour retrouver plusieurs ingrédients requis seront inclus principalement à la fin de l’article.
Ingrédients requis pour la formation des super-cellules.
La grande majorité des tornades proviennent des orages super-cellulaires.
Par définition, une super-cellule est un orage avec un mésocyclone persistant. Le mésocyclone est tout simplement le courant ascendant de l’orage qui est en rotation. Nous avons besoin de 4 ingrédients clés pour la formation de ce type d’orages;
-Instabilité
-Humidité
-Soulèvement
-Cisaillement
Prenons chacun de ces ingrédients un à un en commençant par l’instabilité. Il s’agit tout simplement de la mesure d’énergie convective potentielle des courants ascendant aussi appelé CAPE (j/kg). Une atmosphère peut être instable de plusieurs façons, avec une dépression qui arrive et refroidit l’air en hauteur (lapse rates) alors que l’air est toujours chaud et humide au sol par exemple (présence d’une couche de mélange surélevé, où elevated mixed layer en anglais). Le réchauffement diurne joue un grand rôle aussi. Plus la température et l’humidité sont élevées au sol et plus rapidement ils diminuent dans la moyenne atmosphère, plus le potentiel convectif est important. Pour les orages, dépendant du setup en place, l’énergie n’est pas obligée d’être très élevé. Des valeurs de CAPE de 500 à 1000 peuvent parfois suffire pour soutenir de bons courants ascendants. Cette affirmation est particulièrement vraie au Québec, comme nous le verrons plus loin.
L’humidité joue un rôle important pour l’énergie, mais aussi pour la hauteur de la base des nuages, le type de super-cellules possibles entre autres. Tous ces points sont importants pour identifier un potentiel tornadique. Une base trop élevée des nuages a tendance à réduire le risque alors que trop ou pas assez d’humidité aussi. Un écart de 5 à 10°C (10-20°F) entre le point de rosée et la température est généralement l’idéal. La profondeur de l’humidité dans la couche limite planétaire (Planetary boundary layer) est aussi importante puisqu’un écart rapide de l’humidité relative en montant dans l’atmosphère risque de créer un refroidissement par évaporation sous la base des orages. Le risque de micro-rafales en sera augmenté, mais le risque de tornade, lui, diminué car la température de l’air ambiant ne doit pas être trop froide par rapport à la température de l’air entrant dans l’orage pour la formation tornadique (réf: https://www.weather.gov/bmx/outreach_microbursts / http://www.srh.noaa.gov/ama/?n=microbursts ) . Une trop grande humidité aura aussi comme effet de favoriser les super-cellule à haute précipitation.
Le soulèvement est ce qui va créer un mouvement vers le haut de l’air. Un front, un creux, des outflows boundaries, une dryline (USA seulement), la convergence de vents au sol, la divergence amenée par un courant-jet, des montagnes… Bref la liste est longue, nous verrons plus en détail certains de ces phénomènes plus loin. Mais pas de soulèvement, pas de courant ascendant, donc pas d’orages. Les drylines sont très prisées dans Tornado Alley puisque ce type de soulèvement n’apporte pas les inconvénients d’un front froid et si les orages s’éloignent assez d’elles dans un bon environnement, l’humidité disponible pour les orages risque d’être mieux balancé. Ce type de phénomène n’existe pas au Québec. Rappelons que la plupart du temps, l’interaction entre cellules orageuses ne favorise pas la genèse tornadique, sauf dans certains cas spécifiques. Donc, deux autres aspects sont très importants par rapport au soulèvement, la direction dans lequel les vents proviennent et vers où ils soufflent. L’alignement du vecteur de cisaillement profond (0-6 km) et celle du vecteur des vents des enclumes orageuses en haute altitude (9-11 km) sont alors importants. Il est préférable que ceux-ci soient alignés de façon perpendiculaire (90°) par rapport à la frontière de soulèvement pour que les orages restent isolés. Lorsque les deux sont alignés entre 45 et 90°, un mode d’orages isolés restera favorisé. Si les deux sont assez parallèles à la frontière d’initiation (moins de 45°), un mode d’orages linéaires sera favorisé. Il arrive aussi que l’un des deux soit perpendiculaire et l’autre parallèle, à ce moment, un mode mixte est possible, donc des orages isolés et linéaire, ou qui peuvent parfois commencer isolés pour ensuite se transformer en ligne. Lorsque les vents des enclumes sont plutôt parallèles, cela peut entrainer des précipitations dans le courant ascendant des orages en amont et limiter le potentiel de tornades.
Finalement, l’ingrédient maitre pour la formation des super-cellules est le cisaillement des vents. Il en existe deux types. Le cisaillement en vitesse et le cisaillement directionnel.
Le cisaillement en vitesse est la différence entre la force des vents au sol et celle en moyenne altitude.
Les vents plus faibles au sol et plus fort en altitude contribuent à créer un effet de rouleau compresseur dans l’air et sera relié à la formation du mésocyclone de moyen niveau plus tard. Il s’agit d’une forme de vorticité. Pour voir si on a un potentiel de super-cellule, on regarde la plupart du temps le cisaillement en vitesse entre la surface et 6 kilomètres de hauteur (0-6km). Le minimum requis est d’environ 30 noeuds et l’idéale se situe à 40 noeuds. On calcule ce paramètre en prenant la vitesse des vents à 6 km et en soustrayant à la vitesse de surface. Par exemple, si on a des vents de 45 noeuds à 6 km et des vents de 5 noeuds au sol on fait 45-5 = 40 noeuds pour le cisaillement 0-6 km.
Il s’agit d’une mesure importante pour la rotation mais aussi pour que le courant ascendant ne soit pas noyé dans les précipitations de l’orage. Si vous avez une différence de vents trop faible entre la moyenne altitude et la surface, les précipitations tomberont directement dans le courant ascendant ce qui l’étouffera et mènera à la mort de l’orage. Voilà pourquoi il est préférable d’avoir au minimum 30 noeuds de différence.
Passons maintenant au cisaillement directionnel. Il s’agit du changement de direction des vents avec la hauteur.
Sur cet exemple, nous avons des vents de surface en provenance du sud-est alors que plus on monte en altitude, ils passent sud-ouest pour finalement venir de l’ouest plus en hauteur. On a ici un bon cisaillement directionnel qui va induire encore plus de tourbillon, surtout dans les 3 premiers kilomètres de l’atmosphère. Il s’agit de l’hélicité, et c’est un indice important pour la formation du mésocyclone de bas niveau. On peut même seulement regarder le cisaillement entre 0-1 km car celui-ci est souvent le meilleur discriminateur pour voir le potentiel tornadique. Le vent courbe beaucoup en montant dans l’atmosphère avec ce genre de profil ce qui est parfait pour la formation des tornades.
Exemple d’un profil de vent courbé dans les premières couches atmosphériques. (Atmosphère hypothétique menant à la tornade EF2 du Lac-Drolet le 1er Aout 2006)
Cependant, imaginer que les vents soient pratiquement tous de la même direction, disons du sud-ouest. Nous aurions toujours du cisaillement en vitesse, mais pas en direction, on appelle ce profil cisaillement unidirectionnel. Il est toujours possible d’avoir des super-cellules mais le risque d’interaction entre celles-ci est beaucoup plus grand car cela augmente le risque de séparation des courants ascendants. Aussi, en séparant les courants ascendants, l’environnement ajoute une étape de plus pour que le mésocyclone se forme avec un tourbillon entrant directement dans celui-ci. Quand les orages interagissent trop ensemble, ils ont aussi tendance à devenir linéaire. Ces orages produisent plus rarement des tornades.
Exemple d’un profil de vent linéaire.
Bref, voici donc ce que ça donne lorsqu’on met tout ça ensemble.
Nous avons donc notre rouleau compresseur qui tourne, encore plus de tourbillon au sol produit par le cisaillement directionnel et un courant ascendant qui redresse le tout de façon verticale dans le nuage d’orage qui se sera formé car l’atmosphère est instable et humide. Les précipitations se forment ainsi que le mésocyclone de moyen niveau, les courants ascendants et descendants entre en interaction. Cela crée un effet d’étirement vers le bas. Si l’hélicité est suffisante, la rotation du mésocyclone de bas niveau deviendra plus forte et cela peut engendrer une tornade !
Parfois, les ingrédients sont là, mais il ne se passe rien.
Il existe aussi des moments ou, même si tous les ingrédients sont réunis, il ne se passera pas grand-chose ou bien la super-cellule ne produira tout simplement pas de tornade. C’est le cas notamment lorsque nous avons affaire à un CAP, ou si vous préférez une inversion de température.
Graphique (téphigramme) montrant une inversion de température ou CAP.
Plus on monte en altitude, plus la température se refroidi, normalement. Cependant il arrive des moments ou la température à la surface est beaucoup plus froide qu’en altitude. Cela arrive souvent lorsqu’il fait chaud et que, quand le soleil se couche, la température commence à refroidir à la surface, mais la chaleur prend beaucoup plus de temps à partir un peu plus haut en atmosphère.
L’air chaud doit monter pour se condenser et réaliser son potentiel de convection. Cependant si la parcelle d’air qui monte rencontre de l’air encore plus chaud qu’elle, elle cessera de se soulever et rien ne se passera si cela dure trop longtemps. Comment une inversion s’érode-t-elle ? Soit par le réchauffement diurne, donc que les températures augmentent graduellement vers la surface, ou bien par le refroidissement en moyenne altitude, ce refroidissement vient souvent de l’approche d’une dépression.
Le CAP est une lame à double tranchant. Il est en fait préférable d’en avoir un peu, mais pas trop. Une trop grosse inversion empêchera toute convection, tandis qu’aucun CAP dans un environnement instable favorisera trop l’interaction des orages ce qui diminue le potentiel de temps violent. L’idéale, c’est le principe de la casserole pleine d’eau bouillante. Quand le couvercle est dessus, la vapeur ne peut pas monter. Quand il n’y a aucun couvercle, la vapeur s’échappe sans retenue. Quand il y a un couvercle, mais qu’on enlève celui-ci après un certain temps, à ce moment la vapeur monte en explosant. Il se passe la même chose avec les orages, qui ont alors tendance à devenir violents et rester plus isolés dans ce dernier scénario.
Il va aussi arriver que des super-cellules prennent naissance, mais qu’elles ne produisent pas de tornades. En fait, seulement quelque 25-30% des orages super-cellulaires produiraient des tornades. La science tente encore d’élucider ce mystère, pourquoi certains orages en produisent, alors que d’autres non ? Il y a une petite piste du coté du RFD cependant, le RFD est le Rear Flank Downdraft de la super-cellule, ce sont des courants descendants qui proviennent des hauteurs de l’orage et qui sont un peu plus froids et secs que l’air ambiant. Il est situé derrière le courant ascendant en rotation (mésocyclone) de la super-cellule.
Apprenez en plus sur l’aspect visuel et radar du RFD avec ces 2 articles: Analyse visuelle d’une supercellule classique
Différence entre un front de rafales et un mésocyclone
Il semblerait que si le RFD soit plus froid d’environ 5°C que l’air ambiant au sol, cela serait suffisant pour empêcher la naissance d’une tornade. Plusieurs facteurs peuvent jouer la dedans, comme trop de précipitation dans le RFD ou que ce soit trop sec. Si les orages se forment trop près d’un front froid et que celui-ci bouge rapidement… Bref il faut toujours avoir une certaine balance.
Quelques autres indices sont aussi révélateurs du potentiel tornadique. Le LCL, le LFC et le 0-3 km CAPE. Prenons les un à un en commençant par le LCL.
Le LCL, où « lifting condensation level », est l’endroit en altitude ou la base des nuages va commencer à se former. Cet indice, mis en relation avec la hauteur de la topographie, est pratique pour voir si la distance entre le sol et la base des nuages sera grande. Il est généralement reconnu que cette distance ne doit pas dépasser 1000-1200 mètres car la formation d’un tourbillon qui atteindra le sol sera comprise.
Le LFC, où « level of free convection », est l’endroit ou la parcelle d’air bouillante va pouvoir monter sans embuche. La zone entre le LFC et le LCL est souvent considérée comme un CAP. Cet indice sera pratique lorsque mis en relation avec le CAPE 0-3 km.
Le CAPE 0-3 km est la quantité d’énergie disponible dans les 3 premiers kilomètres de l’atmosphère. Un fort CAPE 0-3 km (environ 50 J/kg) est en place particulièrement lorsque le LFC et le LCL sont assez bas. Quand cet indice est relativement fort, cela permet un meilleur chevauchement entre la vorticité horizontale (créé par le fameux cisaillement des vents en vitesse et en direction) et l’initiation du courant ascendant. La circulation du mésocyclone de bas niveau en bénéficiera puisque la force du courant ascendant sera aussi rehaussée et créera un meilleur étirement vertical. Cet étirement, mis en relation avec le RFD qui descend et s’enroule dans le courant ascendant, a aussi souvent été mis en cause pour la formation des tornades. Les deux phénomènes, en interagissant ensemble, introduisent aussi une augmentation rapide de la rotation, un peu comme un patineur de vitesse qui se replie sur lui-même. La tornade prend alors forme.
Quelques statistiques sur la formation des tornades aux USA et au Québec.
La formation des super-cellules et des tornades requiert donc certaines bases. Évidemment, il existe une différence entre le climat des plaines américaines et celui du Québec.
Voici donc quelques donnés sur plusieurs ingrédients qui servent souvent de discriminateur sur le potentiel tornadique des orages. Le CAPE, l’hélicité 0-1 km, l’hélicité effective 0-1 km, le cisaillement profond 0-6 km, l’indice d’énergie vs hélicité o-1km, les vents 4-6 km, le « supercell composite » ainsi que le « significant tornado parameter ». Il faut cependant toujours se rappeler de ne jamais utiliser ces indices seuls pour donner un potentiel. Voici une petite explication concernant les graphiques suivants.
La ligne du bas représente le nombre de cas répertorié par le Storm Prediction Center de Norman en Oklahoma sur différents évènements. Dans le cas qui nous intéresse, je me suis limité à comparer les tornades significatives (sigtor ou EF2+). Les échelles sur la gauche représentent les différentes valeurs des indices que nous observerons.
Dans les graphiques, les boîtes grises, les chiffres noirs ainsi que les lignes noires verticales représentent les cas soumis par le SPC. Les boîtes représentent les moyennes générales avec la moyenne inscrite à l’intérieur. Les lignes noires verticales sont les cas plus atypiques avec respectivement les cas maximaux et minimaux enregistrés.
Les boîtes orangées et rouges ont été ajoutés par moi. Ils représentent les cas Québécois. J’ai analysé les 17 cas des journées enregistrés avec des tornades EF2+ au Québec depuis 40 ans. J’ai bâti des téphigrammes et hodographes de chaque journée à l’aide du logiciel SHARPpy ainsi que de toutes les données archivées disponibles de ces journées avec l’aide du Storm Prediction Center, de Météocentre, des archives d’Environnement Canada ainsi que des archives du site de l’université du Wyoming. J’ai utilisé les cartes de surface, de 925mb, 850mb, 700mb, 500mb, 300mb et 250mb ainsi que les téphigramme et hodographe environnant pour extrapoler le tout et donner une idée de ce à quoi l’atmosphère pouvait ressembler un peu avant les évènements tornadiques. Vu la quantité d’évènements limité au Québec par rapport aux USA, il faut tempérer un peu les donnés. Cependant il existe tout de même des tendances en similitudes et parfois en différences.
Les boîtes orangées représentent donc les moyennes générales avec la barre centrale orange qui représente la moyenne. Les extensions rouges représentent les cas plus atypiques avec respectivement les cas maximaux et minimaux enregistrés.
Le CAPE représente certainement l’indice qui montre le plus de différence entre les données Américaines et Québécoise. Comme on peut le voir sur le graphique ci-haut, il semble que les cas de fortes tornades ne requièrent pas autant d’énergie ici que chez nos voisins du sud.
L’hélicité est la quantité mathématique dérivée du cisaillement en vitesse entre une certaine hauteur, du cisaillement en direction entre une certaine hauteur ainsi que de la force et de l’alignement des vents de bas niveau par rapport aux deux autres variables qui sont ingérés dans le courant ascendant d’un orage. Le résultat est en mètre-seconde (m2s2). L’hélicité entre 0-1 km dans l’atmosphère est souvent reconnue comme un bon indice pour la formation des tornades.
Sur le graphique du haut, on remarque donc que les quantités recueillies pour chaque cas Québécois sont assez bien alignés avec les cas Américains. L’hélicité semble donc jouer un rôle plus important que le CAPE dans la climatologie du Québec.
Il est aussi important de savoir que le sens de déplacement et la vitesse des orages jouent un rôle sur la quantité d’hélicité ingérée dans le courant ascendant. Les orages « right mover » ou qui se déplacent vers la droite du vecteur de cisaillement profond sont généralement favorisés pour la formation des tornades. Tout cela a été pris en compte dans les calculs.
L’hélicité effective (ESRH) elle représente la même chose mais en tenant compte de l’endroit où les courants ascendants deviennent absolument instables, donc souvent un peu plus haut en altitude. Il est aussi souvent utilisé pour faire la différence entre les orages tornadiques ou non, voir la profondeur de l’hélicité et dans les cas d’orages surélevés.
Encore une fois, on peut voir des similitudes entre les deux endroits.
L’indice EHI, Energy Helicity index, ou indice d’énergie vs hélicité est aussi souvent utilisé pour reconnaitre un environnement favorable aux tornades. La formule est simple, xCAPE * ySRH / 160 000. Dans le cas de ce graphique, le mlCAPE et l’hélicité 0-1km sont utilisés donc la formule est le mlCAPE * 0-1km SRH / 160 000. Le terme « ml » veut dire « Mixed Layer ».
On peut y voir une certaine tendance qui regroupe le fait que généralement il y a moins de CAPE dans les évènements Québécois, mais que l’hélicité rétablit un peu la moyenne.
Il faut aussi savoir que pour être valide, la super-cellule doit se former dans la zone ou l’indice a été calculé. Voici aussi un barème général pour reconnaitre le danger potentiel associé. Comme vous pouvez voir, il existe tout de même certaines disparités avec le graphique du haut. Il ne faut pas utilisé cet indice seul.
EHI: 0-1: Potentiel de supercellule.
EHI: 1-5: Tornades fortes possibles (EF2/EF3)
EHI: 5+: Tornades violentes possibles (EF4/EF5)
Le cisaillement profond, entre 0-6 kilomètres est utile pour voir la formation de super-cellule et du mésocyclone de moyen niveau. On le calcule en soustrayant les vents à 6 km par les vents au sol. Exemple: Nous avons des vents de 45 noeuds à 6 km et de 5 noeuds au sol. 45-5 = 40. Notre cisaillement 0-6 km est de 40 noeuds.
Dans ces cas-ci, pratiquement tout concorde, on remarque cependant que cela concorde bien avec les super-cellules qui ont aussi donné des faibles tornades et qui n’en ont pas produit. Cet indice est donc bon pour évaluer le potentiel de super-cellules, mais peut-être moins spécifiquement pour les tornades.
La différence des vents entre 4-6 km dans l’atmosphère semble aussi jouer un rôle selon certain. Cependant les études plus récentes tendent à démontrer que cet indice n’a pas tant d’incidence. Il est généralement reconnu qu’une différence de 15 noeuds et plus est préférable pour les super-cellules tornadiques.
J’ai voulu l’inclure seulement parce que dans les cas du Québec, il semble y avoir aussi une différence plus notable. Ce pourrait-il qu’avec cette différence de vent plus fort, le mésocyclone de moyen niveau augmente un peu en force et entraine un effet domino avec la rotation ? Ce mécanisme compenserait peut-être pour l’énergie souvent plus faible ? Il s’agit là d’une hypothèse seulement.
Le « Supercell Composite Parameter » ou SCP, est un calcul qui inclut plusieurs ingrédients et sert à représenter un environnement qui supporte des super-cellules « right mover ». Le calcul prend en ligne de compte le muCAPE, le ESRH ainsi que la EBWD (Effective Bulk Wind Difference) qui est un autre calcul de différence des vents en altitude. Sa formule va comme suit (amusez-vous !). Le terme « mu » veut dire « most unstable ».
SCP = (muCAPE / 1000 J kg-1) * (ESRH / 50 m2 s-2) * (EBWD / 20 m s-1)
L’EBWD reste divisé par 20 dans la plage entre 10-20 ms-1. À moins de 10 ms-1 on le met à 0 alors qu’à plus de 20 ms-1 on le met à 1.
La corrélation entre le côté Américain et Québécois est encore assez visible, quoique la moyenne générale semble un peu plus basse dans notre climat.
Voici un autre paramètre qui comporte plusieurs indices. Le STP ou « Significant Tornado Parameter ». Cet indice indique encore l’environnement favorable aux super-cellules, mais aussi aux tornades significatives (EF2+). Plus le chiffre est élevé, plus la concordance de tous les ingrédients pour former l’indice est grande.
L’indice comprend le calcul entre l’EBWD, l’ESRH, le mlCAPE, le mlLCL et le mlCIN. Le CIN est tout simplement la mesure contraire au CAPE, donc l’énergie inhibitive de convection souvent reliée au CAP ou de l’air plus frais/froid, donc plus dense et qui n’est pas favorable à la convection.
La formule va comme suit, encore une fois, amusez-vous bien !
STP = (mlCAPE / 1500 J kg-1) * ((2000 – mlLCL) / 1000 m) * (ESRH / 150 m2 s-2) * (EBWD / 20 m s-1) * ((mlCIN + 200) / 150 J kg-1)
La majorité des tornades significatives (EF2+) sont associées à une valeur de 1.0 en montant. Encore une fois, on peut voir une concordance assez intéressante entre les valeurs Américaines et Québécoises, avec une moyenne générale légèrement plus basse encore une fois.
Pour conclure ces petites statistiques, on peut dire que de manière générale la quantité d’énergie disponible dans l’atmosphère semble avoir un rôle moins important que la quantité d’hélicité disponible dans notre climat versus le climat des plaines américaines. Certaines études américaines tendent à montrer le tout aussi avec des résultats similaires pour différentes régions du CONUS (Continental United States).
Analyse de la journée du 20 Juin.
Tout d’abord, la région avait déjà subi des orages dans la soirée et la nuit précédant l’évènement. Les orages ont souvent tendance à laisser des « outflow boundary » (OFB). Ces phénomènes sont en réalité des zones de température un peu plus fraiche laissée par les courants descendants des orages. Il est aussi reconnu que ces zones favorisent localement le tourbillon disponible dans l’atmosphère en augmentant un peu la vorticité disponible puisque l’air chaud circule autour de l’air plus frais qu’elles produisent.
Voici donc deux images satellites prises au matin du 20 Juin, montrant des zones possibles d’outflow boundary. Elles sont indiquées par les flèches blanches. Les OFB sont remarquables au satellite visible souvent par leur zone sans nuages qui est nette et sont souvent assez linéaires.
Dans ce cas-ci, la région de Lac-Verne était tout près. Est-ce que ces possibles OFB ont joué un rôle un peu plus tard dans la journée pour augmenter localement la rotation dans les bas niveaux de l’atmosphère ? Peut-être.
En regardant les images radars de la journée, j’ai pu déterminer que l’orage pointé par la flèche rouge sur l’image ci-dessous était fort probablement celui qui a causé la tornade. Malheureusement, avec la mauvaise couverture radar dans ce secteur, il s’agit de la meilleure image que j’ai trouvé sur le web. L’étoile blanche représente la position approximative de Lac-Verne, elle est aussi indiquée avec la flèche blanche.
Imagerie satellitaire visible, potentiellement peu avant la tornade.
Cet orage faisait partie d’un complexe qui montrait les caractéristiques d’orages semi-isolés (mode mixte). C’était prévu ainsi puisqu’au courant de cette journée, le vecteur des vents du cisaillement profond 0-6 km allait être alignés environ à 45° de la frontière d’initiation (le front froid), ce qui est encore bon pour les orages isolés. Cependant le vecteur des vents 9-11km lui allait monter en direction nord et être très parallèle au front ce qui favorise beaucoup les précipitations dans les courants ascendants des orages et éventuellement la formation de lignes orageuses.
D’ordinaire, pour les tornades il est préférable que les orages n’interagissent pas trop ensemble. Dans certains cas beaucoup plus spécifiques, cela peut leur être bénéfique (réf: https://ttu-ir.tdl.org/ttu-ir/handle/2346/15608 ), mais vu le peu d’information disponible avec les radars dans ce cas-ci, il est difficile de spéculer. Il reste possible que nous avions à faire à des super-cellules semi-isolées.
La zone était aussi sous l’influence d’un solide creux en altitude où des poches de vorticité étaient présentes. Cela aide grandement pour la formation de tourbillon dans l’atmosphère.
En regardant aussi le profil atmosphérique potentiel ce soir là, on se rend compte que plusieurs paramètres pour le temps violent étaient présents. Voici le téphigramme et l’hodographe observé à Maniwaki, dans la soirée du 20 Juin. Je l’ai un peu modifié avec les observations pour représenter ce qui pouvait se passer un peu plus près de la Haute Mauricie, un peu avant l’évènement.
Le graphique de gauche représente une coupe verticale de l’atmosphère. La ligne rouge représente la température. La ligne verte, la température du point de rosée, donc l’humidité. Sur la droite, on y retrouve la direction des vents et à la gauche complètement la hauteur en pression et en kilomètres avec l’altitude.
Le graphique du coin supérieur droit est un hodographe. Celui-ci représente une coupe verticale des vents en altitude avec le sens du déplacement des orages. Ce graphique est très pratique pour voir le profil de cisaillement et voir s’il y a beaucoup de rotation (hélicité) disponible pour la formation de tornades.
On peut remarquer sur le graphique de gauche qu’il n’y avait pas beaucoup d’énergie disponible. On parle d’environ 895 de CAPE. Les points de rosée n’étaient pas très élevés, quoique la végétation dans ce coin soit quand même plus importante. L’écart entre les températures et le point de rosée était donc très limite mais encore correcte. Aussi, on sait maintenant qu’au Québec, la quantité d’énergie est un peu moins nécessaire pour la formation des tornades.
L’hélicité cependant sur le graphique de droite, semblait pas mal. On peut remarquer que le profil semble un peu linéaire, mais le vecteur de « right mover » ainsi que la vitesse de déplacement très rapide des orages ont tout de même donné une quantité d’hélicité intéressante: 197 m2s2 pour le 0-1 km et 207 m2s2 pour l’hélicité effective.
Un autre fait intéressant à observer maintenant. Si on se concentre sur l’hodographe, j’ai ajouté l’alignement du front et sa vitesse de déplacement (ligne brune). J’ai aussi pointé le sens de déplacement et la vitesse prévu des orages dans cet environnement. Remarqué aussi la ligne bleue (cisaillement 0-6 km) et rose (vent de 9-11 km) qui partent de la ligne brune. Ce sont les vecteurs qui servent à déterminer, en corrélation avec d’autres mécanismes comme la force de l’inhibition convective, si les orages auront des tendances isolées, linéaires ou mixtes.
Nous avions un front froid orienté sud-sud-ouest/nord-nord-est qui avançait à environ 30 noeuds. Nos orages eux, avaient le potentiel d’avancer rapidement, à environ 49 noeuds. Cela peut paraître anodin comme information, mais les fronts froids, avec l’air plus dense qu’ils apportent des hauteurs, sont reconnus pour venir couper l’influx d’air chaud dans la couche limite planétaire. Les orages coupés de leur influx d’air chaud auront tendance à devenir « outflow dominant » et le risque de tornade devient quasiment nul puisque vous enlever une partie importante de l’équation pouvant mener à la genèse tornadique.
Si des orages se forment trop près des fronts froids ou qu’ils se font rattraper par ceux-ci. Le scénario d’une tornade devient donc moins probable. Dans le cas de notre évènement. Il semble que notre orage ne se soit pas formé trop près du front et que celui-ci avec sa vitesse de déplacement plus lente que celles des orages, la genèse tornadique avait plus de chances de se produire.
Voilà pourquoi n’importe quelle zone de convergence des vents qui sert d’initiation, comme un creux, une dryline, une zone montagneuse et etc, est plus favorable pour la formation des tornades. Les fronts chauds eux, ne sont généralement pas de très bonnes sources d’initiation, mais si des orages super-cellulaires interagissent avec eux, l’hélicité s’en trouve souvent rehaussée. Ce n’était pas le cas lors de cette journée par contre.
Un autre facteur sur lequel je voudrais attirer l’attention est l’élévation et la topographie de l’endroit.
La région est située à environ 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il ne s’agit pas d’une élévation incroyable, j’en conviens. Il est par contre prouvé que lorsque le terrain devient plus haut, les points de rosée au sol n’ont pas à être aussi élevé pour produire des tornades. Je l’ai moi-même vécu lors de chasses dans les hautes plaines américaines ou dès que les points de rosée atteignent aussi peu que 50°F (10°C), le risque tornadique augmente avec des super-cellules. Il faut noter que les hautes plaines sont cependant à plus de 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Cependant, si on prend en note que la hauteur de la base des nuages (LCL) prédit par le téphigramme plus haut était d’environ 1250 mètres et qu’on compare à d’autres endroits avec un taux d’humidité semblable et une élévation de 200 mètres de moins, par exemple, la distance pour qu’un tourbillon puisse toucher le sol reste meilleure dans le cas du Lac-Verne. Si notre LCL est de 1250 et notre élévation du sol est à 400 mètres, 1250 – 400 = 850. En réalité la base de notre nuage sera à 850 mètres du sol. À Maniwaki (aéroport), le même LCL donne une élévation de 1250 – 200 = 1050 mètres au-dessus du sol par exemple.
N’oublions pas aussi qu’un écart moins grand entre le sol et la base des nuages limite le refroidissement par évaporation, donc cela risque de moins gêner la formation d’une tornade.
Lac-Verne est aussi situé dans une petite vallée, comme en témoigne l’image suivante.
Les tornades sont des phénomènes à très petites échelles, elles peuvent donc facilement être influencées par des microclimats. Les vents lors de la journée du 20 Juin étaient majoritairement du sud-ouest. Cependant, serait-il possible que très localement, avec l’effet de canalisation et l’axe de la petite vallée où est située la région, que les vents en place étaient d’origine plus sud-sud-est ? Cela a pu contribuer à augmenter localement l’hélicité, donc le potentiel d’une plus forte tornade.
Aussi, les terrains très accidentés semblent avoir un effet sur la force et la rotation des mésocyclones. Lorsqu’un mésocyclone rencontre une soudaine dénivellation vers le bas, cela aurait tendance à augmenter encore une fois l’étirement et amener le resserrement du courant ascendant ce qui a comme effet d’augmenter la vitesse de rotation (vorticity stretching) (ref: Kathryn A. Prociv / ustornadoes.com / https://theses.lib.vt.edu/theses/available/etd-05092012-094035/unrestricted/Prociv_KA_T_2012.pdf).
Je vous propose maintenant de voir les indices dont j’ai parlé tantôt, mis en relation avec cet évènement particulier. Les lignes horizontales et chiffres de couleur rouge vin représentent les valeurs pour le cas étudié ici.
Notre évènement se situe donc dans la basse moyenne pour ce qui est du CAPE., de l’indice d’énergie vs hélicité (EHI) et du Supercell Composite Parameter. Il se situe dans la moyenne pour l’hélicité 0-1 km, l’hélicité effective et le cisaillement profond 0-6 km.
Il se situe dans la marge d’exception des valeurs basses pour l’indice du Significant Tornado Parameter. Il se situe dans la haute, voir très haute moyenne, pour les vents entre 4-6km.
En conclusion, on peut donc dire que notre évènement, statistiquement parlant, était plutôt dans les moyennes, peut-être un peu basses, que nous serions en droit de nous attendre pour avoir un rapport de tornade forte au Québec. Pour la climatologie Américaine cependant il s’agirait plus d’un évènement dans la très basse moyenne.
Lorsqu’on regarde l’ensemble de tous les paramètres en place lors de cette journée, le potentiel de tornade était présent. Le potentiel qu’une tornade significative (EF2+) se produise semblait aussi présent, sans nécessairement être clair et net. Il est fort probable que ce sont des petits détails qui ont favorisé le mécanisme de naissance de cette tornade, dont nous n’aurions jamais entendu parler si elle n’avait pas frappé ce chalet.
Pierre-Marc Doucet.
Références:
Tim Vasquez (Severe Thunderstorm Forecasting, 2009)
Rich Thompson (Tornado Forecasting Workshop, 2015)
http://www.spc.noaa.gov/obswx/maps/
http://climat.meteo.gc.ca/historical_data/search_historic_data_f.html
http://sharppy.github.io/SHARPpy/index.html
http://weather.uwyo.edu/upperair/sounding.html
http://meteocentre.com/archive/archive.php?lang=fr
Weisman, M.L., 1996: On the use of vertical wind shear versus helicity in interpreting supercell dynamics.
Rasmussen, E.N., and D.O. Blanchard, 1998: A baseline climatology of sounding-derived supercell and tornado forecast parameters.
Davies-Jones, R.P., 1984: Streamwise vorticity: The origin of updraft rotation in supercell storms. J. Atmos. Sci., 41, 2991-3006.
Davies-Jones, R.P., D.W. Burgess, and M. Foster, 1990: Test of helicity as a forecast parameter. Preprints, 16th Conf. on Severe Local Storms, Kananaskis Park, AB, Canada, Amer. Meteor. Soc. 588-592.
Thompson, R. L., R. Edwards, J. A. Hart, K. L. Elmore, and P. Markowski, 2003: Close proximity soundings within supercell environments obtained from the Rapid Update Cycle. Wea. Forecasting, 18, 1243-1261.
Thompson, R. L., R. Edwards, C. M. Mead, 2004: An update to the Supercell Composite and Significant Tornado Parameters. Preprints, 22nd Conf. Severe Local Storms, Hyannis, MA (134K PDF)
Hart, J.A., and W. Korotky, 1991: The SHARP workstation v1.50 users guide. National Weather Service, NOAA, US. Dept. of Commerce, 30 pp. [Available from NWS Eastern Region Headquarters, 630 Johnson Ave., Bohemia, NY 11716.]
Davies, J.M., 1993: Hourly helicity, instability, and EHI in forecasting supercell tornadoes. Preprints, 17th Conf. on Severe Local Storms, St. Louis, MO, Amer. Meteor. Soc., 107-111.
Liens pour analyses et pour les modèles météo.
http://www.spc.noaa.gov/exper/mesoanalysis/
http://www.spc.noaa.gov/exper/
http://weather.cod.edu/satrad/
http://www.pivotalweather.com/
http://weather.cod.edu/forecast/