Texte et photos: Pierre-Marc Doucet
Vidéos: Pierre-Marc Doucet
Membre présent: Pierre-Marc Doucet, Jolyane Limoges,
Avec nous aussi: Jasmin Asselin, Claire Hudson,
La journée du 27 Mai fût la meilleure du voyage pour notre équipe en 2015. Nous avons pu assister à la naissance d’une grosse tornade et voir toute son évolution du début à la fin.
Il s’agissait un peu d’une récompense aussi car les deux jours précédents ont été assez pénibles. Des orages peu impressionnant au Kansas, avec seulement un danger de se faire prendre dans une crue subite le 25 Mai. Le 26, des orages ordinaires en Oklahoma plus des petits pépins avec le camion et les hôtels. Bref le moral n’était pas très haut.
Ce matin-là nous nous étions levé tôt, à Altus dans le sud-ouest de l’Oklahoma, pour analyser la situation. Le Storm Prediction Center avait déjà émis un potentiel de temps violent partant du Texas Panhandle jusqu’au nord du Kansas. C’est bien beau, mais la chasse aux tornades demande un peu plus de précision ! Voici donc le synopsis météo de la journée et le pourquoi nous sommes partis vers Canadian au Texas.
Tout d’abord, en regardant le courant-jet, celui-ci était correct tout au plus. On pouvait déjà voir cependant qu’il était un peu plus fort sur le Texas Panhandle. De plus, comme on le verra plus loin, il était bien aligné pour que les enclumes des orages à naître n’interagissent pas trop ensemble.
Carte de 300mb (courant-jet) avec notre zone de chasse encerclée en rouge.
En regardant plus bas, les courants étaient aussi moyens. Par contre, il y avait espoir qu’avec l’avancée des creux plus à l’ouest, que ça devienne un peu mieux au courant de la journée. Les creux étaient plus évidents à 700mb. Cela allait aussi apporter un meilleur scénario pour les « lapses rates » un peu plus tard et un certain forçage vertical pour l’atmosphère.
Carte de 500mb avec notre zone de chasse encerclée en rouge.
Carte de 700mb avec notre zone de chasse encerclée en rouge.
Un autre point d’intérêt était que la qualité de la couche d’humidité présente dans les basses couches de l’atmosphère allait en s’améliorant. Il y avait une bonne advection d’humidité du Golfe du Mexique qui arrivait sur ces régions avec le courant-jet de bas niveau. Le scénario pour que beaucoup d’instabilité soit présente sur ces régions plus tard en journée commençait à se préciser.
Carte de 850mb avec notre zone de chasse encerclée en rouge.
La formation d’une dryline près du Nouveau-Mexique s’avançant dans le Texas n’était plus qu’une question de temps. Celle-ci allait servir d’élément déclencheur avec l’avancée des creux en après-midi pour que les orages violents se forment. La dryline serait donc une bonne source de soulèvement orientée pratiquement nord-sud. Le cisaillement des vents avec la hauteur serait bien aligné à travers la « boundary » et le fait que les orages allaient pouvoir bien s’en éloigner, les supercellules pouvaient rester isolées.
Il était probable que les meilleurs ingrédients remontent vers le nord aussi car avec les creux en approche des plaines, une dépression pouvait se creuser au pied des rocheuses et développer le « setup » davantage, on appelle ces dépressions des « lee cyclone ». Mais vu que nous étions dans le sud-ouest de l’Oklahoma et que tout semblait pointer vers le Panhandle déjà, nous avons pris la décision de nous diriger vers Canadian dans le nord-est du Texas Panhandle.
Dryline visible plus tard dans la journée.
Cisaillement des vents au cours de la journée (Effective Bulk Shear). La marque des 30-35 noeuds étant atteinte, des supercellules étaient possibles.
Déroulement de la chasse
Nous sommes arrivés en après-midi à Canadian. Tout juste avant d’arriver dans la ville, nous avions déjà commencé à voir les premiers signes d’initiation alors qu’un champ de cumulus se formait à l’ouest de notre position.
Peu de temps après, les premiers échos radar faisaient leur apparition et nous savions que c’était « game on ». Il y avait beaucoup d’énergie (environ 4000 de CAPE) sur nos secteurs et un certain cisaillement de bas niveau qui allait en augmentant. Les orages se formaient rapidement dans cet environnement. On peut le voir sur l’image de vapeur d’eau ci-dessous. Remarquer aussi encercler en jaune l’avancée des creux.
On remarque que la supercellule se développe au nord-ouest de Canadian, on tente alors de se positionner le mieux possible pour voir la base. Les options de routes n’étant pas très intéressantes dans ce coin, nous sommes un peu loin de la base mais nous avons une superbe vue sur tout ce qui se passe.
On remarque alors un wall-cloud qui commençait à se développer et un premier petit entonnoir ! C’était encourageant, surtout que l’orage ne bougeait pratiquement pas ! Encore une fois, peu de temps après, un autre entonnoir se forme. Celui-ci beaucoup plus gros que le précédent et arrive environ à la moitié du sol avant de remonter.
On tente alors de se repositionner plus près de la base pour avoir une meilleure vision. La structure devenant de plus en plus impressionnante. Surtout que les nuages en entonnoirs se succédaient les uns après les autres.
L’orage était pratiquement stationnaire et d’autres petits orages se formaient tout près. Ils venaient souvent s’amalgamer dans la plus grosse supercellule. Il est probable qu’il y avait une sorte de phénomène à plus petite échelle dans le coin comme une « outflow boundary » laissé par les orages de la veille ou encore le terrain plus accidenté dans ce coin favorisant les courants ascendants. Ces orages étaient un peu fatigants car ils coupaient probablement le potentiel tornadique avec les précipitations qui tombaient souvent dans le RFD de la supercellule principale.
Peu importe, nous continuons à observer l’orage. Celui-ci commençait à mieux s’organiser et les autres orages à moins interagir avec en toute fin d’après-midi. Nous étions parfaitement bien placés pour voir la base. On a d’ailleurs commencé à voir que le RFD s’enveloppait un peu dans le courant ascendant. Il s’agit d’un signal fort qu’une tornade est peut-être imminente.
Notre position par rapport à la supercellule. (Rond blanc au bout de la flèche rouge)
Le RFD commençait à s’enrouler dans le courant ascendant à ce moment.
Il y avait beaucoup de chasseur sur la route et nous avons voulu trouver un endroit un peu plus calme. Nous sommes retourné vers la ville de Canadian mais la tornade commençait déjà à se former ! Plus de temps à perdre, il fallait se stationner et assister à ce spectacle qui allait durer environ 10 minutes !
La tornade est passé par divers stades, d’une largeur maximale de 1 kilomètre à son « rope stage ». Elle fut classée EF2 avec des vents entre 200 et 215 km/h. Voici quelques photos et la vidéo.
Nous avons continué à observer l’orage pendant très longtemps ensuite. Celle-ci passait par divers stages, en faiblissant et en se renforçant.
Nous avons eu droit à une autre brève tornade un peu plus tard en soirée. Mais nous avions la vue de sa base caché par une colline et elle s’est rapidement enveloppée dans la pluie. Ce sont d’autres chasseurs qui nous ont confirmé plus tard que c’était bel et bien une tornade.
Par la suite, trop d’orages se sont formé et interagissaient ensemble. De plus il commençait à faire noir, nous avons donc décidé d’aller nous payer la traite avec un excellent steak du restaurant Big Texan à Amarillo. Notre journée était terminée et quelle journée ce fût !! Au final, quelques autres tornades ont touché terre au Kansas. Mais le show principal a été devant nos yeux cette journée-là !